Parmi les 960 yantra répertoriés, le shri yantra est le plus célèbre. Il constitue pour les yogi à la fois un support de concentration et une représentation symbolique du lien entre microcosme et macrocosme. Structuré en 9 niveaux de l’extérieur vers l’intérieur, il constitue ainsi une représentation symbolique de la manifestation. Yantra désigne un diagramme mystique en sanskrit. C’est un support graphique de méditation issu de la tradition hindoue, puis emprunté par le bouddhisme, (on parle alors de mandala), le jaïnisme (on parlera de siddhachakra, navapada ou navadevata) et le taoïsme. Les yantra sont censés révéler les concepts et aspects du monde, certains yogis parlent même de la représentation de la Vérité, c’est-à-dire ce qui est vu une fois l’éveil atteint. Chaque yantra est associé à un mantra. Le but du méditant est alors de percevoir l’énergie associée au concept représenté.
Dans la tradition hindoue un yantra symbolise une vérité, une qualité. C’est un support visuel tout comme le mantra est un support vocal. Méditer sur un yantra est réputé donner accès à l’unité avec le concept qui lui est lié, passage du micro au macrocosme et vice versa, créant ainsi un lien subtil jusqu’à ne former qu’un. Parmi tous les yantras, le shri yantra est le plus fameux.
Les symboles présents dans les yantra
Les formes et motifs couramment employés dans les yantra comprennent des carrés, des triangles, des cercles et des motifs floraux, mais peuvent également inclure des symboles plus complexes et détaillés, par exemple :
- La fleur de lotus : représente généralement les chakras, chaque pétale représentant une propension psychique (ou vritti) associé à ce chakra.
- Le point, ou bindu : représente le point de création de l’infini, du cosmos, du vide où tout reste à exprimer.
- Le shatkona « hexagramme » est composé de deux triangles entrelacés, l’un pointé vers le haut, l’autre vers le bas. Il contient les figures suivantes :
- Un triangle pointé vers le haut qui, selon le tantra désigne l’énergie, ou plus précisément l’action et le service (seva). Il peut également désigner l’aspiration spirituelle, l’élément du feu, purusha, Shiva. Il est aussi dit représenter le substrat statique du cosmos.
- Un triangle vers le bas qui, selon le tantra désigne la connaissance spirituelle, la puissance créatrice de l’univers, la fécondité, l’élément de l’eau, Prakriti, Shakti.
- Le swastika : représente la chance, le bien-être, la prospérité ou la victoire spirituelle, Ganesh…
Selon le Tantraraja tantra, il existe neuf cent soixante yantra.
Les composantes du shri yantra
Le Shri yantra également connu sous le nom de shri chakra est aussi appelé la mère de tous les yantra car il contient tout les autres yantra, ce qui fait de lui l’un des plus célèbres. On le retrouve sous trois formes principales : plane, pyramidale (ou il représente le Mont Meru) et sphérique. Il est formé par la rencontre de neuf triangles dont cinq avec le sommet tourné vers le bas représentant Shakti et les quatre autres pointant vers le haut, représentant Shiva. Leurs croisements vont ensuite former 43 autres triangles. Ils sont entourés de deux cercles de pétales de lotus avec l’ensemble enfermé dans un cadre sécurisé, appelé la « citadelle de la terre ». Le tout est centré, scellé autour du bindu (point originel d’où la manifestation est issue).
Le shri yantra est réputé représenter la forme de l’univers, c’est à dire les diverses étapes de la manifestation cosmique. C’est un schéma symbolisant la création qui vient à l’existence sous le désir primordial, créant une vibration qui résonne en tant que son. Cette manifestation est représentée par le bindu. À la première étape de la manifestation, le bindu est nommé para bindu, c’est le noyau d’énergie concentrée, le germe du Son ultime, et les aspects dynamiques et statiques de Shiva-Shakti. Le bindu lui même est formé de 3 bindu en son centre, un rouge (l’ovule), un blanc (le sperme) et un mixte qui représente l’union Shiva-Shakti : le potentiel devenir.
Lorsque commence la création, il se transforme en apara bindu : le point prend un rayon, la polarisation de Shiva-Shakti s’opère en son sein, les énergies dynamiques et statiques entrent en interaction, et les deux points supplémentaires émergent pour former une triade de points : le triangle primordial ou mula-trikona. Le triangle renversé représente la femme, la yoni, la Shakti. Il est signe d’évolution, et représente le principe dynamique de la création. L’élément statique prédomine dans le para bindu de telle sorte qu’il représente le principe masculin, Shiva (qui sera aussi symbolisé par les 4 triangles pointant vers le haut plus tard dans la création). La création tout entière provient de ces deux principes, le triangle et le point, l’union de Shiva-Shakti (que l’on retrouve aussi symbolisée avec le lingam noir et le triangle rouge ).
On peut observer plusieurs symboles dans le premier triangle comme le triple processus de la manifestation (création-conservation-destruction), la lune, le soleil et le feu, iccha, jnana et krya… Mais aussi les 3 gunas (sattva, rajas, samas) dont l’interaction produit toutes les formes de la « création » qui émane de la prakriti, la nature originelle.
Dans l’école Shri Vidya du tantra hindou le shri yantra est la représentation de Lalita Tripurasundari. Du fait qu’il est composé de neuf (nava) triangles (yoni), on le nomme souvent Navayoni Chakra : la roue aux neuf triangles. Chaque niveau correspond à un mudra, une yogini, et une forme spécifique de la divinité Tripura Sundari avec son mantra, ses apparats etc…
« Tripura est la Shakti primordiale, suprême, la lumière de la manifestation. Celle qui est perçue comme l’ensemble des lettres de l’alphabet donna vie aux 3 mondes. Après sa dissolution elle est la demeure de tous les Tattvas et reste inchangée » Vamakeshvaratantra
Les 9 mandalas du shri yantra
Voici la liste des 9 mandalas du Shri yantra, du plus grossier au plus subtil :
1) Trailokya Mohan ou Bhupar : « la citadelle de la terre »
Il représente les barrières, les murs de chacun mais aussi l’ancrage et l’imperméabilité. Il est composé de 3 lignes, chacune correspondant à un aspect mineur de la déesse rouge.
La ligne externe contient les lokapalas, les protecteurs des huit mondes. Ce sont les gardiens des directions.
La ligne médiane évoque huit siddhi shakti.
La ligne interne regroupe les matrikas connues sous le nom de prakata yogini, ces shakti sont souvent décrites comme dangereuses et sauvages.
Le mantra est AM AM SAUH.
2) Sarva Aasa Paripurak : le lotus aux 16 pétales, « l’exécuteur du désir »
L’aspect de Lalita qui en ressort est Tripureshi, son mantra est AIM KLIM SAUH. Le mandala reflète 16 yogini associées à la réalisation des désirs par la culture ou le renforcement du pouvoir sur l’esprit, l’ego, le son, le toucher, la vue, le goût, l’odorat, l’intellect, la stabilité, la mémoire, le nom, la croissance, le corps éthérique, la revivification, et le corps physique. Elles sont décrites comme les Nitya Kala.
3) Sarva Sankshobahan : le lotus aux 8 pétales, le « chakra palpitant »
Présidées par Tripura Sundari, les 8 shakti dans chacun des 8 pétales du mandala sont décrites comme shakti du discours, du maintien, de la marche, de l’excrétion, du plaisir, de l’abandon, de la concentration et du détachement. Elles sont les yogini du grand secret. Le mantra est HRIM KLIM SAUH.
4) Sarva Saubhagyadayak : les 14 triangles, « le chakra donnant la bonne fortune »
Lalita est Vasini, son mantra est AIM KLIM SAUH. Les triangles évoquent 14 shakti associées aux nadi principales, elles sont les akarshani.
5) Sarva Arthasadhak : les 10 triangles externes, « le chakra donnant tous les objets au sadhaka »
Ils symbolisent Lalita Tripura Shri. Ses 10 shakti sont les Kula Kaula. Ce sont les yogini des 10 souffles vitaux.
6) Sarva Rakshakar : les 10 triangles internes, « le chakra protecteur de tous »
Ici on retrouve Lalita Tripura Malini avec son mantra HRIM KLIM BLEM. Les yogini dans les triangles représentent les 10 souffles de feu. Elles sont appelées les « sans origine ».
7) Sarva Rogahar : les 8 triangles, « le chakra destructeur de toutes maladies »
Ils incarnent Lalita Tripura Siddha avec son mantra HRIM SHRIM SAUH. Elle est la destructrice du poison. Ses shakti sont les souveraines du froid, de la chaleur, de la joie et de la tristesse mais aussi des 3 guna. Entre les 8 triangles et le triangle central se trouve les 4 armes de Lalita : un arc formé de fleurs, des flèches de fleurs, une corde et un ankusa (outil pour le dressage des éléphants).
8) Sarva Siddhiprada : le triangle central, « Le chakra donnant tout les succès »
Lalita réside ici en tant que Tripura Amba avec son mantra HSRAIM HSRKLI HSRSAUH. On retrouve 3 shakti qui correspondent chacune à un dieu de la trimurti.
- Bhagamalini, « la femme à l’utérus en fleurs». Elle est la shakti de la création, de Brahma.
- Vajreshi, « la femme adamantine » : elle est la shakti de la conservation, de Vishnu.
- Kameshvari, « la femme de la luxure » aussi connue sous le nom de Rudra shakti. Elle est la shakti de la destruction, de Shiva.
9) Sarva Anandamay : le bindu, « la béatitude absolue »
Elle est la Reine des reines, Rajarajeshvari, « la très rouge ». La transcendante Lalita Maheshvari Mahatripurasundari. Son mantra est KA E I LA HRIM HA SA KA HA LA HRIM SA KA LA HRIM ainsi qu’une 16ème syllabe secrète.
Elle est entourée des 15 nityas, modifications de Lalita en tant que shakti. Ce cercle de nitya représente les 15 jours lunaires, Mahatripurasundari étant le 16ème jour. Chacun des nitya a un certain nombre de « bras » qui correspond aux rayons, l’ensemble atteignant le nombre de 108. Chaque nitya a 1440 respirations, un processus lunaire compte donc 21 600 respirations qui correspondent aux souffles d’un être humain en un jour. L’unité espace/temps/homme est crée. Intrinsèquement il est le Kalachakra : la roue du temps.
Le voyage de l’homme de l’existence matérielle à l’illumination ultime est cartographié sur le shri yantra. Chaque niveau est matérialisé par un circuit du shri chakra qui indique symboliquement les différents processus du devenir. Chaque niveau est une ascension vers le centre. Il est un outil pour donner une vision totale de l’existence de sorte à ce que le yogi puisse internaliser ses symboles pour la réalisation de son unité avec le cosmos. Ainsi il est un lien entre le microcosme et le macrocosme. C’est une métaphore de l’être humain, d’un univers en mouvement perpétuel oscillant entre l’expansion et la rétraction.
Sources : www.shivashakti.com